Organisations plates et moléculaires, holacratie, entreprises opales, gouvernance agile… de plus en plus d’entreprises de toutes tailles et de tous secteurs sautent le pas vers un nouveau paradigme organisationnel & managérial, plus adapté à notre époque. Nous sommes allés interroger plusieurs patrons qui ont choisi de basculer dans ces nouveaux modes collaboratifs qui distribuent le pouvoir de décision au plus près du terrain dans le but de gagner en rapidité d’adaptation. Et chez eux, l’agilité n’est pas l’agitation mais bien la capacité à se reconfigurer en temps réel pour réagir aux distorsions et saisir les opportunités de l’environnement. Qu’il s’agisse d’entités de 100 ou de 1600 personnes en France et à l’étranger, leurs témoignages se recoupent. Pour des raisons de liberté d’expression et de discrétion, ils ont choisi de garder l’anonymat.
1) Pourquoi ont-ils choisi de mettre en œuvre une gouvernance agile ?
A cette question, leurs réponses marquent un sentiment d’urgence, une nécessité forte :
« J’avais une obligation de faire évoluer la raison d’être de l’entité, des enjeux de survie d’une DSI qui doit amener plus de valeur ajoutée à ses clients internes. Je n’avais pas la réponse seul dans mon bureau, j’ai sollicité mes collaborateurs, puis notre Campus management ».
◊ « Nous l’avons décidé collectivement. On renouvelait complètement l’équipe marketing et son Directeur a dit « je voudrais que mon équipe soit agile. On va passer en gouvernance agile ». Depuis des années, nous nous débattions dans des difficultés liées aux évolutions très rapides de nos produits et de nos marchés, etc. Résultat, on passait notre temps à réorganiser et nous n’étions jamais contents du résultat ; cela nous consommait beaucoup de temps en dehors de notre cœur d’activité. »
2) Quelles ont été les principales étapes de mise en oeuvre ?
« Il a fallu passer de l’agilité prescrite à la loyauté à l’équipe ! » o Prise de conscience qu’il fallait passer par l’agilité : 6 mois ; o Mise en œuvre opérationnelle, nouveaux types de réunions, nouvelle organisation agile : 6 mois.
1- Formations CODIR et managers : plus d’histoire de liens hiérarchiques (Janvier) ; 2 –Séminaire de toute l’entité (Juin) ; 3 – Infos CHSCT, etc. ; 4 – 6 mois de fonctionnement à blanc ; 5 – Validation des organisations syndicales
Pour l’entité la plus grande : o Expérimentation dans un périmètre limité au Marketing ; o Adoption très volontaire et curieuse du CODIR qui expérimente pendant 2 mois ; o Déploiement via des journées de sensibilisation, des rampes de lancement (tutorat des facilitateurs de réunions-clés en situation) et des formations-actions, incitations à utiliser les nouvelles modalités de cercles et réunions agiles à la place des CODIR traditionnels.
3) Des moments qui les ont marqués ?
« J’ai eu des questions de fond des salariés : « OK ça développe notre autonomie mais comment peut-on être sûrs que ça va durer ? » J’ai répondu : « vous êtes capables de prendre des décisions dans votre vie personnelle et maintenant dans votre vie professionnelle… vous n’avez plus besoin de moi » ; Le salarié de terrain comprend très bien le discours du dirigeant de l’entreprise. Pourquoi vouloir passer par des intermédiaires ?! »
Bonne question effectivement !
Autres réactions entendues et vécues : « Rien qu’avec la réunion de synchronisation du lundi, j’ai gagné du temps !» ; « Nous avons réussi à régler des litiges latents depuis des années entre 2 équipes en 15 minutes de réunion de gouvernance : C’est efficace et cela donne un sentiment de satisfaction. » Les deux leaders soulignent qu’un levier majeur de conviction des managers est leur vécu de ces nouveaux types de réunions et l’efficience générée après parfois des années de frustrations, de temps perdu, voire de fonctionnement grippé ou chaotique.
4) Quelles difficultés ont-ils rencontrées… ?
- Avec leurs équipes ?
Étonnamment, peu de difficultés semblent avoir été rencontrées de part et d’autre : « Très peu de difficultés ! On a toujours quelques personnes dubitatives ; elles sont noyées dans la masse et finissent par se prendre au jeu. Ça n’est pas toujours facile pour les managers de créer leurs rôles au départ et de se trouver à 3 niveaux hiérarchiques (de l’organisation passée) dans un même cercle. Cela repositionne vraiment sur le cœur de métier. »
- Avec eux-mêmes ?
Pour le dire autrement, passer de « big boss » qui décide de tout ou presque à « leader agile », pas trop violent ?
Voici leurs réponses : – « J’ai eu l’attitude classique du patron tenté d’être interventionniste… Mes équipes m’envoyaient encore des mails pour me demander des arbitrages… ma PMO en charge de cette transformation me rappelait régulièrement de ne pas répondre ! Ce qui m’a fait beaucoup progressé ce sont les discussions avec la personne qui nous a accompagnés. C’est très facile de décréter que l’on délègue ; c’est plus dur de ne pas intervenir ! » – « Les tensions qui aboutissaient encore chez moi étaient souvent liées aux ressources. Dans une entreprise qui verrouille les budgets, ça m’a fait vivre des injonctions paradoxales. Je les ai gardées à mon niveau et j’ai trouvé des solutions. » – « Je suis passionné, je n’ai pas trouvé de défauts majeurs à la méthode. Cela ne traite pas l’affectif, ça le met à l’écart des rôles donc il faut le traiter à côté de manière plus forte. » – « Je n’ai plus envie de faire du « management RH » ; ça ne m’intéresse plus de gérer des personnes, du nombre, donc ça me va très bien ! »
5) Que leur a apporté la gouvernance agile dans leur fonction ?
– « La satisfaction intellectuelle d’avoir une méthode efficace qui colle à la réalité, opérationnelle. Des réunions courtes, hyper efficaces… et ça fonctionne même sans moi ! » – « C’est la 1ère fois que je trouve un système vraiment en rupture (depuis les années 80) qui permet de mettre en action le principe de subsidiarité ; là j’ai un protocole, un cadre de rituels, qui me permet de m’auto-contrôler, m’auto-réguler, pour ne pas transgresser ; ça incite aussi à injecter de nouvelles approches très collaboratives. » – « On reporte son ego et sa valorisation sur autre chose qui me parait bien plus intéressant ! » – « Ça laisse du temps pour anticiper, faire de la veille… son vrai métier. »
En résumé : subsidiarité en action, efficience et recentrage sur le cœur de métier !
6) Que leur a apporté la gouvernance agile en tant que personne ?
– « En tant que facilitateur, cela m’a permis de travailler sur le détachement ; j’ai aussi beaucoup développé le non-agir. Cela amène également de la clarté et oblige à s’interroger : dans quel rôle je parle, j’agis ? » – « C’est reposant, soulageant, ça enlève un poids moral sur le manager, j’arrive le matin beaucoup plus serein… » Il n’y aurait donc pas que la fonction qui trouve son compte dans ce nouveau paradigme, mais également la personne : Plus de non-agir, de détachement, de clarté et de sérénité pour les leaders interrogés.
7) Et si c’était à refaire ?
Au regard des réponses aux questions ci-dessus, pas de surprise pour cette dernière interrogation en guise de conclusion : – « Si on devait abandonner la gouvernance agile, cela me poserait problème et je continuerais sans doute quand même à mon niveau! » – « Tout pareil… je voudrais le refaire dans mes nouvelles fonctions! Ma remplaçante hérite du système ; elle est ravie et les équipes ne veulent pas changer de méthode… Quand tu as pris le pouvoir, tu ne veux pas le rendre ! »
Florence Hunot, co-fondatrice de SPINDLE.
NB : Un grand merci aux personnes interrogées pour le temps consacré à ces interviews et leur confiance.
A propos de l’auteur :
Florence Hunot est entrepreneur depuis 20 ans, coach de dirigeants et d’équipes. Avec Alexandre Boyer, elle a créé Spindle, un collectif d’entrepreneurs qui accompagnent les Organisations à gagner en rapidité d’adaptation & en fluidité de fonctionnement grâce à de nouvelles technologies RH et numériques qui font le succès des start-ups et des entreprises agiles.